Le travail d’Evert Veldhuizen constitue la première étude historique consacrée aux mouvements charismatiques protestants et contribue ainsi à mieux faire connaître la « grande famille » du protestantisme en France (Préface de Pierre-Yves Kirschleger)
Préface de Pierre-Yves Kirschleger, Université Paul-Valéry de Montpellier
« Un mouvement controversé en pleine expansion » : c’est ainsi que le chroniqueur religieux du journal Le Monde, Alain Woodrow, présentait à ses lecteurs le tout jeune Renouveau « charismatique » en mai 1975, à l’occasion du congrès international qui réunit à Rome, le week-end de Pentecôte, environ dix mille participants charismatiques catholiques.
Né en milieu protestant, explique-t-il, le mouvement charismatique (qui plonge ses racines dans le pentecôtisme classique américain du début du siècle) n’a cessé de se développer dans le monde chrétien, pour atteindre l’Église catholique en 1967 – d’abord les milieux universitaires américains, puis d’autres milieux et d’autres continents .
Le succès du mouvement charismatique au sein de l’Église catholique, et notamment en France où il suscite la création de Communautés nouvelles (L’Emmanuel, le Chemin neuf, les Béatitudes, le Puits de Jacob…), a paradoxalement éclipsé l’origine protestante du mouvement comme l’existence de nombreuses Églises et Communautés protestantes charismatiques. L’ouvrage que propose le pasteur Evert Veldhuizen est donc particulièrement précieux, car il restitue au mouvement charismatique toute sa dimension, aussi bien dans le paysage protestant que dans ses rapports avec le catholicisme.
Pour le lecteur non initié, il est assez difficile de dire ce qu’est le mouvement charismatique. Le nom du mouvement nous donne un indice : il insiste sur les dons spirituels, les « charismes », mot qui provient du grec charisma et signifie « don de grâce ». La liste de ces charismes est donnée dans quatre passages bibliques (Romains 12.6-8 ; 1 Corinthiens 12.4-11 ; 1 Corinthiens 12.28-31 ; Éphésiens 4.8-13). Le début du chapitre douze de la première Épître aux Corinthiens est le plus explicite :
À chacun, l’Esprit se manifeste d’une façon particulière, en vue du bien commun. L’Esprit donne à l’un une parole de sagesse ; à un autre, le même Esprit donne une parole de connaissance. L’un reçoit par l’Esprit la foi d’une manière particulière ; à un autre, par ce seul et même Esprit des dons de la grâce sous forme de guérisons, à un autre, des actes miraculeux ; à un autre, il est donné de prophétiser et à un autre, de distinguer entre les esprits. À l’un est donné de s’exprimer dans des langues inconnues, à un autre d’interpréter ces langues. Mais tout cela est l’œuvre d’un seul et même Esprit qui distribue son activité à chacun de manière particulière comme il veut » (traduction Bible du Semeur, 1992).
Pour les charismatiques, le croyant n’est donc pas seulement un converti ; il a également fait l’expérience du « baptême de l’Esprit », événement au cours duquel le Saint-Esprit se manifeste, le plus souvent au travers d’un moment de glossolalie à l’image du récit relaté dans les Actes des apôtres (2.3-4) :
Ils virent apparaître des sortes de langues qui ressemblaient à des flammèches. Elles se séparèrent et allèrent se poser sur la tête de chacun d’eux. Aussitôt, ils furent tous remplis du Saint-Esprit et commencèrent à parler dans différentes langues, chacun s’exprimant comme le Saint-Esprit lui donnait de le faire.
L’insistance sur ces irruptions du Saint-Esprit n’est cependant pas une nouveauté : le pentecôtisme, depuis sa naissance aux États-Unis au début du XXe siècle, a déjà redécouvert et mis en avant l’activité du Saint-Esprit. D’où la confusion qui existe souvent pour l’observateur peu averti entre mouvements pentecôtistes et mouvements charismatiques…
Le livre d’Evert Veldhuizen sera donc un excellent guide pour mieux cerner et comprendre les mouvements charismatiques, à propos desquels l’auteur nous donne quatre clefs essentielles :
1. La dimension chronologique d’abord, car un phénomène religieux surgit toujours dans un contexte sociétal précis. Les historiens situent la naissance de la mouvance charismatique en 1959 aux États-Unis, lorsque le pasteur Dennis Bennett, d’une paroisse californienne de l’Église épiscopalienne (anglicane) américaine, fait l’expérience du baptême du Saint-Esprit et du parler en langues. Le mouvement apparaît en France dans les soubresauts de mai 68 et émerge véritablement en 1971 ; il participe paradoxalement à la fois de la modernité des années 1960-70 et d’un réenchantement du monde. De manière fortement documentée, Evert Veldhuizen retrace les premières conventions, les premiers réseaux, les premiers débats, puis le développement du mouvement. Même si elle déborde ce cadre, son étude s’arrête à la fin des années 1980, au moment où arrive une nouvelle « vague » d’évangélisation pentecôtisante (que les sociologues appellent « troisième vague », ou néo-pentecôtisme).
2. La dimension transversale que met ensuite en lumière Evert Veldhuizen est une caractéristique majeure et tout à fait originale du mouvement charismatique. Au lieu de se constituer en une branche différente au sein du protestantisme (comme l’a fait par exemple le pentecôtisme), le charismatisme se propage à l’intérieur même des Églises protestantes existantes : dans l’Église réformée de France (notamment en Normandie, dans le Nord et le Sud-Est), dans les Églises réformées et luthériennes d’Alsace, dans les Églises baptistes, dans les Églises pentecôtistes. Le charismatisme s’organise avant tout en un réseau informel qui traverse les frontières – ce qui explique la difficulté à le quantifier précisément –, mais il donne également naissance à des Églises locales indépendantes et à de nouvelles unions d’Églises (comme la Fédération des Églises et Communautés baptistes charismatiques ou la Communion des Églises de l’espace francophone).
3. Cette large ouverture transconfessionnelle donne au charismatisme une dimension œcuménique très marquée. Des catholiques participent à la première convention charismatique de l’été 1971 ; l’abbaye du Bec-Hellouin en Normandie, le père Henri Caffarel, les jésuites Laurent Fabre et Bertrand Lepesant notamment jouent un rôle actif dans l’introduction de la mouvance charismatique au sein de l’Église catholique. « Nous reconnaissons avec joie que ce qui caractérise le Mouvement charismatique est que Dieu le donne dans toutes les Églises, qu’il ne peut donc y avoir de caractère sectaire et que nous sommes appelés à nous aimer les uns les autres en respectant nos appartenances ecclésiastiques », affirme le Consensus signé en 1974 par les principaux pasteurs charismatiques. Mais l’essor du « Renouveau charismatique » catholique amène à un douloureux basculement : les pentecôtistes charismatiques prennent leur distance vis-à-vis de cette catholicisation du mouvement ; les réformés charismatiques s’en inquiètent ; l’Église catholique reste ferme sur son refus de toute intercommunion avec des protestants ; et lors du grand rassemblement charismatique de mai 1977 à Lyon les protestants ne sont qu’une centaine sur plus de dix mille participants… La dynamique œcuménique initiale est-elle condamnée à se diluer ou peut-elle se réinventer ?
4. Enfin, la dimension communautaire est au cœur du mouvement charismatique. La communauté peut y être vécue sous des formes différentes : de manière pérenne, dans les communautés de vie que le mouvement engendre à Lille (la Communauté chrétienne) ou à Chelles (la Maison du pain) et qui servent de noyau pour des actions d’évangélisation et d’engagement social ; ou bien seulement le temps d’une mission d’évangélisation, pendant laquelle les croyants « apprennent à vivre en communauté interconfessionnelle temporaire, dans la simplicité matérielle et celle du cœur ». Dans cet état d’esprit est créé le Centre chrétien de Gagnières (Gard), qui accueille conventions et rallyes de jeunes.
Le lecteur découvrira au fil des pages toute la richesse des recherches d’Evert Veldhuizen, dont le travail constitue la première étude historique consacrée aux mouvements charismatiques protestants et contribue ainsi à mieux faire connaître la « grande famille » du protestantisme en France.
Evert Veldhuizen
Evert Veldhuizen présentera son livre au 9ème salon du livre et des médias chrétiens de Dijon le vendredi 6 décembre 2024.