Avant-propos
Guilhen ANTIER, directeur de la collection ThéologieS et Dany NOCQUET
Le présent ouvrage résulte d’un enseignement pluridisciplinaire donné dans le cadre du cours public de l’Institut protestant de théologie, Faculté de Montpellier, lors du semestre d’automne de l’année universitaire 2021-2022. L’objectif premier du cours était de partager la manière dont les différents départements de la théologie (sciences bibliques, histoire, théologie pratique, théologie systématique) s’approprient l’Ancien Testament et s’en nourrissent, l’interprètent et l’interpellent. L’intention était également de sensibiliser l’auditoire aux recherches récentes sur la formation de la Bible hébraïque et ses théologies, ainsi que sur quelques interprétations nouvelles de certains textes, notamment de la Genèse. Sans viser à l’exhaustivité sur les thématiques abordées, l’ouvrage se veut un premier pas pour prendre conscience de l’importance de l’Ancien Testament en tant que l’une des racines de nos manières d’être au monde aujourd’hui encore. Pour permettre aux lectrices et lecteurs de cheminer dans un parcours cohérent, les huit contributions retenues sont réparties en deux grands ensembles, le premier consacré à la période antique, le second tourné vers l’époque contemporaine.
L’ouvrage débute avec deux contributions de spécialistes de l’Ancien Testament qui présentent quelques-uns des derniers aspects de la recherche vétérotestamentaire. Konrad SCHMID montre que l’Ancien Testament est une bibliothèque dont les livres se sont développés sur plusieurs siècles jusqu’à leur forme actuelle. Les textes les plus anciens peuvent être caractérisés comme des textes religieux qui n’offrent pas encore de réflexion théologique explicite. Avec la catastrophe de la disparition du royaume d’Israël (722 av. J.-C.) puis de Juda (587 av. J.-C.), la donne change : c’est là qu’apparaissent les premières théologies dans l’Ancien Testament, qui ont initié un processus intensif de discussion intra-biblique dont cette Écriture témoigne de manière impressionnante.
De son côté, Dany NOCQUET illustre ce développement et cette diversité théologiques en présentant la théologie de l’intégration que contient Genèse 41 et le cycle de Joseph dans lesquels Israélites et Égyptiens sont reconnus dans une égalité devant Dieu. Le récit procède à une « égyptéisation » d’Israël et à une « israélisation » de l’Égypte, invitant à nuancer quelque peu le regard habituellement négatif porté sur l’Égypte dans de nombreuses interprétations israélo-centrées de l’Ancien Testament.
Dans le cadre de la recherche en littérature intertestamentaire et en Nouveau Testament, Valérie NICOLET explicite les emplois de quelques figures présentes dans les textes juifs anciens. Elle décrit les sources à notre disposition et résume les emplois les plus fréquents des figures d’Abraham, Moïse et David. Elle revient ensuite sur les emplois d’Abraham et d’Ève et développe les multiples usages faits de ces figures dans différents textes de la période du IIe siècle avant au IIe siècle après notre ère.
La relation à l’Ancien Testament représente un enjeu ecclésial majeur aux temps des pères de l’Église. Anna VAN DEN KERCHOVE s’intéresse à Origène (IIe-IIIe siècle), figure incontournable pour toute personne qui veut étudier l’exégèse chrétienne antique (et médiévale). Il est l’un des premiers, à la suite de Clément, à parler d’« Ancien Testament » et il a commenté une grande partie des écrits qui le composent actuellement. Contre divers opposants, il en défend l’autorité et la divinité, qui dépendent de la figure du Christ. Cela a des conséquences sur la méthode herméneutique qu’il estime nécessaire pour comprendre ces écrits et sur les diverses interprétations qu’il propose. Il cherche aussi à prendre de la distance par rapport au canon juif qui est achevé à son époque.
Gilles VIDAL situe sa réflexion au croisement de l’histoire contemporaine et de la missiologie. Que ce soit sous l’ère missionnaire (XIXe siècle), lors de l’émergence de théologies contextuelles (XXe siècle) ou encore dans la perspective postmissionnaire et postcoloniale actuelle, l’Ancien Testament fait l’objet de lectures et d’interprétations très diverses, voire opposées. Quelques exemples tirés de l’histoire de la christianisation dans le Pacifique Sud, et d’autres issus d’écrits théologiques contemporains de cette région, permettront d’appréhender leur diversité et leur originalité pour un lecteur occidental.
Le département de théologie pratique met en évidence de deux manières l’actualité et la modernité de l’Ancien Testament. Élian CUVILLIER se penche sur le récit de 1 Rois 13.1-34 qui raconte l’intervention d’un « homme de Dieu » contre le sanctuaire de Béthel mettant en scène, outre le premier nommé, le roi Jéroboam et un « vieux prophète ». Il tente d’interpréter les surprises du texte, en particulier l’intervention du « vieux prophète » et surtout le mensonge dont il est l’auteur à l’endroit de « l’homme de Dieu », et les conséquences qui en découlent.
Se demandant si l’Ancien Testament est une bonne nouvelle, Christophe SINGER soutient que répondre à cette question ne se limite pas à en juger le contenu à l’aune d’une conception théorique du « bon ». Après un sondage sur des contenus vétérotestamentaires qui ne répondent pas aux critères du « bon », la question est reprise sous l’angle de la dialectique de la loi et de l’Évangile avec Martin Luther et Rudolf Bultmann. Ensuite, sont lus deux récits dont les variantes textuelles interrogent la lectrice et le lecteur sur ses représentations de Dieu et lui offrent l’espace de la grâce.
Enfin, du point de vue de la théologie systématique, et dans une certaine continuité, Guilhen ANTIER remarque que suite aux travaux historiques et exégétiques des dernières décennies, prenant place dans un monde post-Shoah, la notion chrétienne d’« Ancien Testament » se voit peu à peu remplacée par celles de « Bible hébraïque » ou de « Premier Testament ». Il interroge ce phénomène d’un point de vue tant historique que théologique en vue de contribuer au dialogue entre juifs et chrétiens.
Il reste à espérer que les lectrices et lecteurs, quelle que soit l’approche proposée, trouveront ici un intérêt renouvelé à la lecture de l’Ancien Testament et à l’étude de la théologie. La pluralité de cet ouvrage atteste que l’Ancien Testament, en canonisant en son sein l’ouverture et l’inachèvement, a favorisé une pensée théologique à construire et toujours en chemin.